Bulletin aux membres
Projet de loi no 3 : museler les syndicats sous prétexte de transparence
31 October 2025
RÉSUMÉ DE L’ARTICLE : Sous couvert de « modernisation », le gouvernement du Québec veut imposer aux syndicats une série de règles et de procédures qui risquent d’étouffer leur capacité d’action collective. Le projet de loi no 3 soulève de sérieuses inquiétudes sur l’avenir de la démocratie syndicale au Québec. C’est une tentative de reprise de contrôle politique sur les organisations syndicales, un moyen détourné de réduire au silence celles et ceux qui défendent encore la voix des travailleuses et travailleurs.
Le ministre du Travail, Jean Boulet, a déposé hier le projet de loi no 3, censé « améliorer la transparence, la gouvernance et le processus démocratique » des syndicats.
Difficile, à première vue, d’être contre la vertu. Mais lorsqu’on en lit les détails, ce texte soulève un malaise profond : il ne vise pas la transparence, mais le contrôle.
Le gouvernement veut désormais imposer sa propre vision de la démocratie syndicale, comme s’il fallait « corriger » un système déjà fondé sur la participation citoyenne, sans même consulter celles et ceux qui la font vivre.
« Quand un gouvernement qui est aussi l’un des plus grands employeurs du Québec décide de redéfinir comment ses interlocuteurs doivent fonctionner, ce n’est pas de la transparence : c’est du contrôle. Les syndicats appartiennent à leurs membres, pas au pouvoir politique. »
— Marie Deschênes, présidente par intérim de l’UES 800
Un gouvernement-employeur qui se prétend arbitre impartial
Le malaise est encore plus grand lorsqu’on se rappelle que le gouvernement du Québec est l’un des plus grands employeurs de la province, négociant avec plus de 600 000 personnes du secteur public et parapublic, où se concentre plus de 80 % de la main-d’œuvre syndiquée.
Qu’un gouvernement-employeur décide des règles internes de ses propres interlocuteurs soulève un conflit d’intérêts flagrant.
« Le Code du travail interdit expressément toute ingérence d’un employeur dans la représentation syndicale de ses employés. En imposant aux associations accréditées la manière de tenir leurs assemblées, d’adopter leurs statuts ou de gérer leurs fonds, le gouvernement longe dangereusement cette ligne légale. »
— Philippe Viens, vice-président exécutif par intérim de l’UES 800
C’est une intrusion dans la liberté d’association et dans le droit fondamental des travailleurs à s’organiser librement.
Et lorsque le même acteur est à la fois employeur, législateur et arbitre, la démocratie du travail cesse d’être un dialogue pour devenir un rapport de force unilatéral.
L’autonomie syndicale : un principe fondamental
Les syndicats n’ont pas besoin que le gouvernement leur dicte comment exercer leur démocratie. Ils ont besoin d’espace pour débattre, se transformer, se remettre en question. C’est exactement ce qu’ils font déjà à travers des démarches comme les États généraux du syndicalisme, en cours actuellement.
Cette réflexion collective vient du mouvement lui-même, et non d’un décret ministériel. C’est là toute la différence entre un syndicalisme vivant et une démocratie sous tutelle.
Ce que le projet de loi change concrètement
Deux cotisations distinctes
- La cotisation principale servira uniquement aux activités dites « syndicales pures » : négociation, application de la convention collective, griefs, etc.
- La cotisation facultative financera tout le reste : campagnes publiques, participation à des mouvements sociaux, contestations judiciaires, interventions politiques.
Interdictions et sanctions
Toute dépense politique ou sociale payée à même la cotisation principale deviendra illégale, passible d’amendes de 5 000 $ à 50 000 $.
Et surtout, une multiplication des procédures administratives
Le projet de loi ajoute une série d’exigences nouvelles : votes obligatoires dans chaque unité d’accréditation, révision périodique des statuts, délais stricts avant tout scrutin et production de rapports détaillés pour chaque activité. Sous couvert de transparence, le gouvernement alourdit à l’excès le fonctionnement syndical et détourne des ressources précieuses vers la paperasse plutôt que vers la défense des membres.
« Nos pratiques sont déjà rigoureuses et transparentes : nos finances sont vérifiées, nos votes sont secrets et nos statuts sont publics. Ce que le gouvernement ajoute, ce n’est pas de la transparence, c’est de la paperasse. En multipliant les obligations et les votes, on veut rendre la démocratie syndicale tellement lourde qu’elle en deviendra paralysée. On ne cherche pas à nous rendre plus transparents, mais plus silencieux. »
— Cyntia Gagnier, vice-présidente à l’administration de l’UES 800
Impact pour l’UES 800 : affaiblir ce qui fait notre force
L’UES 800 ne se limite pas à négocier des salaires.
Elle agit pour la francisation, la formation, la sécurité au travail, l’équité, la défense des travailleurs migrants et la mise en place de décrets.
Toutes ces activités pourraient désormais être considérées comme « facultatives » selon le projet de loi, donc soumises à un processus de consultation complexe : transmission de documents détaillés à chaque salarié, délai obligatoire de 72 heures avant le vote, scrutin sur 24 heures et approbation majoritaire annuelle dans toutes les unités d’accréditation.
Mais ça ne s’arrête pas là : pour modifier la cotisation principale, il ne sera plus possible de décider collectivement en congrès. Chaque unité d’accréditation devra désormais se prononcer séparément, par scrutin secret majoritaire, avant toute modification.
Et il en ira de même pour les statuts syndicaux.
Ces nouvelles procédures transforment la démocratie syndicale en véritable labyrinthe administratif. Un dispositif si lourd qu’il rendra presque impossible de prendre position sur les lois ou politiques gouvernementales qui affectent directement les travailleuses et travailleurs.
Elles rendent presque impossible une action coordonnée à l’échelle nationale ou intersectorielle. Il deviendra difficile pour les syndicats de monter rapidement aux barricades pour protéger leurs membres si chaque décision structurelle doit faire l’objet d’un vote distinct, unité par unité.
Ce nouveau régime législatif ne cherche pas à moderniser la démocratie syndicale : il vise à la neutraliser.
Et la vraie question demeure : à qui ça sert ?
Quand un gouvernement qui privatise les services publics et réduit les droits des travailleuses et travailleurs prétend vouloir « démocratiser » les syndicats, il est légitime de se demander :
À qui servent vraiment ces changements ?
Aux travailleuses et travailleurs du Québec ?
Ou à ceux qui préfèrent les voir divisés, silencieux et trop occupés à remplir des rapports pour revendiquer collectivement ?
Le 800, comme l’ensemble du mouvement syndical, continuera de se battre pour une démocratie syndicale vivante, forte et libre.
Parce que sans syndicats forts, il n’y a plus de contre-poids au pouvoir.
Et sans contre-poids, ce sont les travailleuses et travailleurs qui perdent leur voix.