Bulletin aux membres
AVIS JURIDIQUES COVID-19

20 mars 2020

Les cabinets d’avocats spécialisés en droit du travail sont de bonnes ressources au sujet des impacts du COVID-19 sur les relations.

Le COVID-19 s’implante dans les relations de travail : Ce qu’il faut savoir!

Roy Bélanger, avocats
15 mars 2020

En décembre dernier, nous avons été informés de l’éclosion d’un nouveau coronavirus. La maladie associée à ce virus a été baptisée COVID-19. La semaine dernière, le nombre de cas d’infection a franchi le seuil des 100 000. L’Organisation mondiale de la santé a exhorté tous les pays à prendre des mesures d’endiguement et de contrôle d’une manière énergique pour ralentir et même inverser la propagation de l’épidémie.Le 12 mars 2020, le gouvernement québécois de M. Legault prend de front la situation pandémique du COVID-19 en implantant certaines mesures et en appelant à la raisonnabilité des travailleurs et des employeurs. Bien que la réponse gouvernementale réponde à un besoin criant, il en demeure qu’au lendemain de la conférence de presse, plusieurs questions sont toujours sans réponse. Ainsi, il importe de faire la distinction entre une obligation et une demande du gouvernement. Rappelons d’abord ce qui a été décidé par le gouvernement de François Legault.

1 – Les employés de l’État

Pour ce qui est des employés de l’État québécois, du secteur de la santé et de l’éducation, le gouvernement ordonne à tout travailleur revenant d’un voyage à l’extérieur du Canada, depuis le 12 mars 2020, de se placer en isolement obligatoire pendant 14 jours. Puisque le gouvernement l’exige, l’isolement est forcé et le travailleur est ainsi privé de la possibilité de travailler. En raison de cette exigence, le gouvernement a aussi décrété que les employés visés par cette mesure de prévention seraient rémunérés pendant la période d’isolement.

Nous soulignons que les « employés de l’État », au sens de cette annonce, sont les salariés de la fonction publique, de la santé et de l’éducation. Tout salarié qui n’est pas directement rémunéré par le gouvernement québécois, autre que ceux du domaine de l’éducation et de la santé, n’est pas un « employé de l’État » au sens de cette mesure gouvernementale.

2 – Les autres salariés

Tous les autres salariés au Québec ne sont pas soumis à un isolement forcé. Le gouvernement demande plutôt à ceux-ci de se placer volontairement en isolement à leur retour d’un voyage pour une période de 14 jours. La distinction entre isolement obligatoire/forcée et un isolement volontaire est primordial aux fins des relations de travail.

3 – Isolement volontaire

Les salariés qui volontairement se placent en isolement ne sont pas forcément rémunérés par leur employeur. Pourquoi?

D’abord, le terme volontaire détermine qui de l’employeur ou du salarié place le salarié en position d’indisponibilité de sa prestation de travail. Dans cette optique, un travailleur qui choisit de rester chez lui pendant 14 jours, afin de ne pas risquer de contaminer des collègues, se retrouve à demander à son employeur de lui accorder un congé sans solde.

Pour cette raison, rien n’oblige un employeur à rémunérer un salarié qui se place en isolement volontaire, malgré que cet isolement provienne d’une demande du gouvernement. La demande n’est pas coercitive et ne s’apparente donc pas à une obligation légale de s’absenter du travail.

4 – Isolement forcé à la demande de l’employeur

Or, dans certains cas, l’employeur exige de ses salariés que ceux-ci s’absentent du travail, pendant 14 jours, à leur retour de voyage. Lorsqu’un employeur force un salarié à s’absenter du travail, de manière préventive, il s’agit du pouvoir de direction de l’employeur qui entre en jeu. À ce moment, l’employeur se refuse à ce que le salarié exécute sa prestation de travail. Le Code civil du Québec prévoit qu’un contrat de travail est un contrat bilatéral dans lequel l’employeur s’oblige à permettre l’exécution d’une prestation de travail au salarié et il s’oblige à rémunérer le travailleur pour ce travail. Le salarié a quant à lui l’obligation de se présenter au travail et d’effectuer la tâche requise. Il s’agit des éléments constitutifs du contrat de travail.

2087. L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.

Dans l’éventualité où un employeur ne permet pas à un salarié d’exécuter sa prestation de travail, en lui donnant l’ordre de rester à la maison en isolement, l’isolement devient obligatoire, ce qui ne dégage pas l’employeur de son obligation de rémunérer le salarié absent. Tout employeur qui interdit l’accès à un salarié de se présenter au travail alors que celui-ci n’est pas diagnostiqué positif au coronavirus est dans l’obligation légale de rémunérer le salarié dont on force l’isolement. Il s’agit dans ce cas d’une suspension administrative du contrat de travail par l’employeur. Les critères de l’arrêt Cabiakman devrait donc s’appliquer afin de déterminer si l’employeur est en droit de refuser l’accès au lieu de travail et de surcroit, si la suspension se doit d’être avec ou sans solde. Nous rappelons qu’une suspension administrative se doit de répondre à 4 critères :

1) Mesure prise afin de protéger les intérêts légitimes de l’employeur

2) L’employeur doit agir de bonne foi

3) La mesure doit être de courte durée ou prévisible quant à sa durée

4) Sauf circonstances exceptionnelles, la suspension est avec solde

5 – Voyage planifié, départ postérieur au 12 mars 2020

Mise à jour au 18 mars 2020 : le Canada a fermé ses frontières.

Si les quatre points précédents expliquent les obligations bilatérales employeur-salarié pour les départs à l’extérieur du pays avant le 12 mars 2020, il reste à déterminer quelles sont les conséquences pour un salarié de partir en voyage, une fois l’annonce gouvernementale émise.

i) Un employeur peut-il refuser des vacances alors que le gouvernement fédéral n’a pas fermé les frontières?

Pour l’instant, les frontières sont toujours ouvertes. Un employeur ne peut pas de sa seule initiative refuser toute demande de vacances sous le seul prétexte du COVID-19. D’une part, l’employeur s’ingèrerait gravement dans la liberté individuelle du travailleur s’il pouvait contrôler le temps libre d’un salarié. La Loi sur les normes du travail ou les conventions collectives permettent le droit aux congés annuels. Dans cette mesure, la situation, bien que préoccupante du coronavirus, ne donne pas le droit à l’employeur d’annihiler une condition de travail aussi important que les congés annuels. Un voyage réservé et planifié, pour lequel il n’est pas raisonnablement possible d’annuler devrait être autorisé par l’employeur. L’isolement forcé qui en découle, au retour du travailleur, devrait être sans perte de traitement.

Toutefois, en ce qui concerne la réservation postérieure au 12 mars 2020, l’employeur dispose d’une latitude plus ou moins étendue, dans l’octroi des vacances annuelles. Tout dépendant de la spécificité du contrat de travail ou de la convention collective, l’employeur a un certain droit de regard sur le moment où les salariés prennent leurs vacances. Le COVID-19 ne modifie pas le pouvoir de l’employeur de refuser une demande de congé préalablement accordée ou encore une demande ponctuelle qui respecte les dispositions de la convention collective entre les parties. Par contre, un contrat de travail, individuel ou collectif, peut contenir des dispositions qui permettent à l’employeur de refuser des demandes de vacances en cas de force majeure, de manque d’effectifs ou pour un motif raisonnable. Lorsque les parties conviennent d’un pouvoir discrétionnaire de l’employeur sur l’octroi des vacances, il semble raisonnable de conclure que les risques associés au COVID-19 sont suffisants afin de permettre à l’employeur de refuser toute demande de vacances risquant d’engendrer un manque d’effectifs pendant une période plus ou moins prolongée.

ii) Un salarié qui, volontairement, prend des vacances à l’extérieur du pays peut-il avoir droit à une rémunération pendant l’isolement de 14 jours suivant son retour au pays?

Encore une fois, la situation est problématique. Dans les faits, s’il est autorisé à quitter le travail pour son congé annuel et que le gouvernement fédéral n’interdit pas aux Canadiens de quitter le pays, le salarié est totalement dans son droit de partir à l’extérieur du pays. À son retour, n’étant pas soumis à autre chose qu’un isolement volontaire, le salarié pourrait retourner au travail. Si l’employeur lui refuse l’accès au lieu de travail, nous considérons que le salarié est en suspension administrative et que conséquemment, il se doit, sous réserve du paragraphe suivant, d’être rémunéré.[1]

À ce principe général s’ajoute la notion de devoir civique. Il est certain que de se planifier postérieurement au 12 mars 2020 un voyage à l’extérieur du pays dans l’optique de bénéficier d’un congé payé (isolement de 14 jours) à son retour est un comportement abusif et déraisonnable. Face à la pandémie, les autorités ont mis en place des protections collectives afin de combattre la propagation du virus. User de cette période pour bénéficier d’une absence rémunérée à laquelle on n’aurait pas accès en temps régulier est contraire aux articles 6 et 7 du Code civil du Québec.

6 Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7 Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.

Le salarié planifiant un voyage dans l’objectif d’obtenir deux semaines supplémentaires de vacances payées à son retour manque à son obligation de bonne foi. Nous sommes d’avis qu’un employeur pourrait refuser de le rémunérer tout en obligeant le salarié à demeurer en isolement préventif vu l’état mondial de la propagation. Nous serions devant une des circonstances exceptionnelles prévues dans l’arrêt Cabiakman justifiant l’employeur de suspendre sans solde. Malgré tout, chaque cas demeure un cas d’espèce. La bonne foi des parties doit être analysée.

Le lundi 16 mars 2020, le gouvernement fédéral ferme officiellement ses frontières aux non-résidents. Dans son allocution, le premier ministre Trudeau mentionne clairement aux voyageurs que « si vous êtes à l’étranger, il est le temps de rentrer chez vous ». À cette date, il devient évident que le gouvernement conseille vigoureusement aux Canadiens de rester au Canada, sous peine de ne pas pouvoir y retourner comme prévu. Cette nouvelle donnée tend à favoriser la thèse qu’un départ à l’extérieur du pays à partir de maintenant pourrait permettre à un employeur de justifier l’imposition de mesures à l’endroit d’un salarié. Évidemment, certaines exceptions pourraient s’appliquer, en fonction de la nature et la nécessité du voyage. Toutefois, la fermeture des frontières sera visiblement un élément déterminant dans l’appréciation des mesures prises par un employeur à l’encontre d’un salarié ayant choisi de voyager malgré l’avis du gouvernement canadien.

***De plus, nous rappelons que tout départ éventuel est vivement risqué. Que ce soit en matières financières ou d’assurance, un voyage à l’extérieur du pays comporte un lot d’imprévus qui peuvent représenter des pertes monétaires importantes pour le voyageur. La majorité des compagnies d’assurances ont modifié leur position sur les voyages en raison de la pandémie. Dans cette mesure, les personnes désirant tout de même voyager sont fortement incitées à vérifier leur couverture d’assurance et les avis gouvernementaux du pays hôte.***

6 – Maladies et symptômes

Les points précédents traitent exclusivement de la mise en place de mesures de prévention. Ainsi, l’isolement est préventif malgré l’absence de symptômes. Or, du moment où un travailleur manifeste des signes ou des symptômes grippaux, l’employeur doit veiller à la santé et la sécurité des autres travailleurs. Par l’effet de la Loi sur la santé et sécurité au travail, l’employeur dispose de moyens afin de s’enquérir de l’état de santé d’un travailleur et de prendre les mesures appropriées qui peuvent aller jusqu’au congé forcé le temps que celui-ci ne soit plus contagieux. Dans un tel cas, le travailleur est placé en arrêt de maladie avec les dispositions applicables à toute maladie.

Parallèlement, un travailleur qui reçoit un diagnostic de COVID-19 ne peut s’enquérir de l’isolement pour réclamer 14 jours de rémunération. Une fois contracté, le COVID-19 emporte l’ouverture des dispositions légales en cas de maladie. Que ce soit au niveau de l’assurance invalidité ou de la convention collective, le travailleur est considéré inapte à effectuer sa prestation de travail en raison d’une maladie contagieuse.

7 – Les rassemblements de 250 personnes et plus

Le gouvernement a formellement interdit les rassemblements intérieurs de plus de 250 personnes afin de diminuer les risques de contagion. Cette annonce fait suite aux différentes ligues sportives ayant suspendu leur saison respective. Au niveau des relations de travail, la question de ces rassemblements se pose sur deux fronts.

D’une part qu’arrive-t-il si un établissement rassemble plus de 250 travailleurs dans un même endroit? Considérant la mesure décrétée par le gouvernement, un salarié serait en mesure d’exercer un droit de refus si l’employeur lui ordonne de travailler dans des conditions contraires mesures préventives du Directeur national de la Santé publique. Le droit de refus est un recours prévu par la Loi sur la santé et la sécurité au travail.

12 Un travailleur a le droit de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger.[2]

De plus, les instances syndicales, telles que les assemblées générales, seront possiblement contraires à l’interdiction du gouvernement. En effet, plusieurs assemblées sont tenues dans des unités où le nombre de participants dépasse le nombre maximal de 250. Conséquemment, les syndicats devront respecter cette limite lors de la tenue d’événements syndicaux. Certaines assemblées doivent aussi être tenues à certains moments précis dans l’année, notamment l’adoption des états financiers. Or, une interdiction gouvernementale doit être considérée comme un élément de force majeure qui oblige le syndicat a reporté l’événement ou encore a dérogé à certaines procédures quant à la tenue de ces évènements. Une assemblée pourrait par exemple être scindée en plusieurs jours ou être tenue par vidéo-conférence dans plusieurs salles distinctes.

8 – Conclusion

Le présent texte fait état d’une situation en évolution constante. Nous prenons le soin de rappeler que le Directeur de la santé publique dispose de plusieurs pouvoirs lors d’une épidémie et que ce faisant, au fil de ces interventions, le milieu du travail pourrait être affecté encore davantage. À ce titre, nous relevons certains des pouvoirs du directeur de santé publique :

106 Lorsqu’un directeur de santé publique est d’avis, en cours d’enquête, qu’il existe effectivement une menace réelle à la santé de la population, il peut:

1° ordonner la fermeture d’un lieu ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes ou à certaines conditions et faire afficher un avis à cet effet;

2° ordonner l’évacuation d’un édifice;

3° ordonner la désinfection, la décontamination ou le nettoyage d’un lieu ou de certaines choses et donner des directives précises à cet effet;

4° ordonner la destruction d’un animal, d’une plante ou d’une autre chose de la manière qu’il indique ou le traitement de certains animaux ou de certaines plantes;

5° ordonner la cessation d’une activité ou la prise de mesures de sécurité particulières si c’est cette activité qui est une source de menace pour la santé de la population;

6° ordonner à une personne, pour le temps qu’il indique, de ne pas fréquenter un établissement d’enseignement, un milieu de travail ou un autre lieu de rassemblement, si elle n’est pas immunisée contre une maladie contagieuse dont l’éclosion a été constatée dans ce milieu;

7° ordonner l’isolement d’une personne, pour la période qu’il indique mais pour au plus 72 heures, si celle-ci refuse de recevoir le traitement nécessaire pour éviter toute contagion ou s’il s’agit de la seule mesure à prendre pour éviter la transmission au sein de la population d’un agent biologique médicalement reconnu comme pouvant mettre gravement en danger la santé de la population;

8° ordonner à une personne de respecter des directives précises pour éviter toute contagion ou contamination;

9° ordonner toute autre mesure qu’il estime nécessaire pour empêcher que ne s’aggrave une menace à la santé de la population, en diminuer les effets ou l’éliminer.

Malgré les dispositions du premier alinéa, le directeur de santé publique peut aussi utiliser les pouvoirs visés aux paragraphes 1° et 2° de cet alinéa comme mesure de précaution, s’il a des motifs sérieux de croire qu’il existe une menace à la santé des personnes qui fréquentent ce lieu ou cet édifice.

Nous resterons à l’affût des points de presse gouvernementaux afin de vous tenir informé des prochains développements.

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[1] Ce paragraphe ne s’applique pas aux employés de l’état qui ont une obligation légale d’isolement

[2] Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1

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L’État des relations de travail au Québec et au temps de la COVID-19 (Coronavirus)

Philion Leblanc Beaudry, avocats
17 mars 2020

Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec a déclaré l’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire québécois. Cette mesure d’urgence permet dorénavant aux autorités gouvernementales de mettre en place différents mécanismes afin de contrôler la propagation du virus et d’assurer ainsi la protection de la population du Québec.

L’objectif étant de limiter les interactions non nécessaires entre les individus, ces mesures évoluent de jour en jour. De plus, plusieurs d’entre elles ont des impacts directs sur les travailleuses et travailleurs du Québec.

L’objectif du présent document est de faire un survol de la situation actuelle et d’analyser de façon générale quels sont les droits et obligations des travailleuses et travailleurs touchés par les effets de cette pandémie, tout en soulignant les nuances qui pourraient s’imposer.

Nous soulignons qu’il s’agit d’une situation d’exception, sans précédent et qui évolue rapidement. Ce faisant, des mises à jour de ce document seront sans doute nécessaires dans les prochains jours.

1. Définition de termes

Avant de procéder à l’analyse des différentes mesures prises par les autorités gouvernementales et leurs effets sur les relations de travail au Québec, voici une courte présentation des termes et expressions fréquemment utilisés en cette période de crise :

Isolement volontaire :

L’isolement volontaire survient suite à la demande faite à une personne infectée ou risquant d’être infectée de s’isoler à la maison afin d’éviter la propagation du virus. Ces personnes ne peuvent quitter leur domicile sous aucun prétexte. Elles doivent également communiquer au 1-877-644-4545 avant de se rendre aux urgences si elles éprouvent des difficultés respiratoires.

Par exemple, un isolement volontaire de 14 jours est recommandé par le gouvernement pour toute personne qui revient de l’étranger depuis le 12 mars 2020.

Isolement obligatoire :

L’isolement est obligatoire pour tous les employés de la fonction publique et pour tout le personnel de la santé, de l’éducation et des services de garde, privés et publics, qui reviennent d’un voyager à l’étranger.

Les mesures de distanciation sociale :

Il s’agit des mesures prises par les autorités gouvernementales afin de limiter la fréquence des contacts sociaux et ainsi limiter la propagation du virus dans la population. Elles comprennent la fermeture des écoles, la restriction ou l’interdiction des rassemblements de masse, la restriction de déplacements (isolement), le contrôle des frontières, etc.

Quarantaine :

Au sens strict, la quarantaine se veut une mesure d’isolement ordonnée par le gouvernement fédéral en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine, L.C. 2005, ch. 20. Toutefois, au sens commun, on réfère souvent à des mesures d’isolement obligatoires comme étant une forme de quarantaine.

Force majeure :

La force majeure est prévue et définie ainsi dans le Code civil du Québec :

1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

La force majeure a été interprétée par la doctrine et la jurisprudence comme un événement extérieur (hors du contrôle des parties), imprévisible et irrésistible.

En raison de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité de la pandémie actuelle, la COVID-19 risque d’être considérée par plusieurs tribunaux comme un événement de force majeure. Cela pourrait avoir pour effet de libérer les employeurs de certaines obligations envers les travailleuses et les travailleurs du Québec.

2. Les effets des mesures de distanciation sociale sur les relations du travail au Québec

2.1 Les conséquences de l’isolement volontaire et obligatoire sur la prestation de travail et la rémunération

Tel que mentionné ci-haut, on demande à tous les individus revenant de voyage à l’étranger de se placer en isolement volontaire pendant 14 jours. Cet isolement est obligatoire pour les employées et employés de la fonction publique. Le gouvernement provincial a annoncé que tous les employées et employés visés par cette mesure d’isolement obligatoire seraient rémunérés pendant toute la période d’isolement.

Par contre, la situation est incertaine quant aux salariées et salariés, revenant de l’étranger depuis le 12 mars 2020, travaillant pour des entreprises privées. En effet, la rémunération pour une salariée ou un salarié s’isolant volontairement n’est pas certaine.

Pour les travailleuses et travailleurs syndiqués, le point de départ est la convention collective. Plusieurs conventions collectives prévoient des dispositions particulières en cas de mise en quarantaine (isolement obligatoire) qui pourraient s’appliquer dans le présent contexte. Elles peuvent également contenir des clauses de force majeure qui pourraient permettre à l’employeur de se libérer de certaines obligations, dont entre autres, celle de permettre l’exécution de la prestation de travail. Toutes dispositions concernant les congés, l’assurance-salaire et les mises à pied devront être analysés. Malgré la situation de crise, la convention collective devrait être respectée par les parties.

2.1.1 Impact des distinctions entre les isolements volontaires et obligatoires

Si la convention collective ne prévoit pas la conduite des parties dans cette situation, il faut distinguer les cas où l’employé(e) décide de s’isoler volontairement, les cas où c’est l’interdiction du gouvernement qui entraîne le refus de la prestation de travail par l’employeur et les cas où l’employeur refuse la prestation de travail de la travailleuse ou du travailleur sans y être obligé par le gouvernement.

Lorsque l’isolement est volontaire, l’employeur pourrait valablement choisir de ne plus verser de salaire, puisque la travailleuse ou le travailleur est dans l’impossibilité d’effectuer sa prestation de travail. L’employeur devrait toutefois lui permettre de s’absenter pour respecter la période d’isolement volontaire, sans préjudice, à moins que cet isolement ne puisse être raisonnablement justifié. Dans ce cas de figure, la travailleuse ou le travailleur devra alors recourir aux congés prévus dans sa convention collective ou à défaut, à ceux prévus par la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c.N-1.1 (ci-après la « LNT »)[1]. Elle ou il pourrait aussi recourir aux congés pour obligations familiales si elle ou il doit être présent pour sa famille[2].

De plus, une travailleuse ou un travailleur décidant aujourd’hui de planifier un voyage à l’étranger, dans le contexte actuel, pourrait difficilement obtenir, par voie de grief, un remboursement de sa période d’isolement volontaire. En effet, la travailleuse ou le travailleur a aussi sa part de responsabilités à prendre pour limiter les situations où elle ou il ne sera pas en mesure d’offrir sa prestation de travail.

La situation pourrait être différente dans les milieux de travail où le télétravail est possible. Dans ce cas, la salariée ou le salarié en isolement pourrait continuer de fournir une prestation de travail pendant la période d’isolement et donc recevoir une rémunération. Toutefois, il nous semble que l’employeur n’a pas l’obligation d’accommoder les travailleuses et travailleurs en isolement en permettant le télétravail dans tous les cas.

Lorsqu’une travailleuse ou un travailleur se voit forcé par des mesures gouvernementales de s’isoler, cela pourrait avoir pour effet d’entraîner une situation de force majeure qui affecterait le contrat de travail et les obligations qui y sont prévues.

Par contre, lorsque l’employeur va au-delà des instructions du gouvernement en étant plus restrictif, par exemple en imposant à ses travailleuses et travailleurs des isolements non obligatoires selon le gouvernement, l’exception pour force majeure pourrait ne pas s’appliquer. Alors, cet employeur pourrait être obligé de remplir sa part du contrat de travail, même s’il refuse la prestation de travail. Son droit de direction lui permettrait de refuser la prestation de travail mais cela ne serait pas sans conséquences.

2.1.2 Contester les modifications aux conditions de travail

Étant donné la nouveauté de la situation actuelle et l’importance des faits de chaque affaire, il nous semble adéquat pour les associations de salariés d’adopter une position visant à préserver les droits des travailleuses et des travailleurs dans tous les cas où l’employeur suit une recommandation du gouvernement ou va au-delà des recommandations pour annuler un ou des quarts de travail qui sont à l’horaire :

Les travailleuses et les travailleurs devraient exprimer par écrit ou devant témoins leur volonté de fournir leur prestation de travail;
Les travailleuses et les travailleurs devraient chercher à obtenir une confirmation écrite d’un représentant de l’employeur, autant que possible, qui leur indique que, dans leur cas précis, l’employeur refuse qu’ils fournissent leur prestation de travail pour une période donnée;
Un grief devrait être logé pour contester cette décision de l’employeur en réclamant le salaire perdu et les autres avantages, avec les intérêts et indemnité additionnelle.
Il importe, encore une fois, de différencier les situations où le gouvernement interdit les activités de l’entreprise ou vient les limiter considérablement de celles où l’employeur prend des mesures qui vont au-delà de ce qui est décrété par les autorités gouvernementales.

Dans le premier cas de figure, l’employeur est obligé de suivre les mesures gouvernementales. À la lumière de la jurisprudence, il semble que des arbitres pourraient interpréter cette situation comme étant un évènement de force majeure, permettant à l’employeur de se libérer de certaines obligations contenues à la convention collection, dont notamment les dispositions concernant les mises à pied ou encore la modification des horaires de travail. Par conséquent, un grief aurait peu de chance de succès.

Dans la deuxième situation, où l’employeur va au-delà de ce qui est recommandé, un grief aurait plus de chances de succès, sous réserve des obligations de santé et sécurité de l’employeur et des prochaines mesures gouvernementales.

Un employeur pourrait également avoir recours à des heures supplémentaires obligatoires pour combler des besoins accrus pendant la crise actuelle. Encore une fois, la convention collective sera utile à ce sujet.

En l’absence de dispositions dans la convention collective, la LNT prévoit la possibilité pour une salariée ou un salarié de refuser d’accomplir des heures supplémentaires dans certains cas[3]. Toutefois, le contexte actuel de pandémie pourrait permettre à plusieurs employeurs d’imposer des heures supplémentaires obligatoires puisque la LNT prévoit des exceptions, comme lorsqu’il y a danger pour la vie, la santé ou la sécurité de la population et, dans certains cas, de force majeure.

2.2 Les travailleuses et travailleurs présentant des symptômes de la COVID-19 (Coronavirus)

En premier lieu, il importe que tous les travailleuses et les travailleurs présentant des symptômes du virus s’isolent à leur domicile. Le gouvernement fédéral conseille également aux employeurs de ne pas exiger de certificat médical pour les salariés souffrant de symptômes de la COVID-19.

Par ailleurs, il nous semble que les dispositions applicables aux congés maladies devraient gouverner l’absence de la travailleuse ou du travailleur, comme ce serait le cas pour d’autres incapacités de travailler pour cause de maladie. L’employeur pourrait être fondé à exiger un certificat médical pour le retour au travail qui confirmerait l’absence de risques pour les autres travailleurs.

Il convient de garder à l’esprit que les travailleuses et travailleurs salarié(e)s pourraient avoir droit, en présence d’une interruption de rémunération de la part de leur employeur, au paiement de prestations d’assurance-emploi, s’il n’y a pas d’autres protections qui s’offrent à ceux-ci.

Le gouvernement Legault a annoncé qu’un programme sera mis sur pied pour aider les travailleuses et les travailleurs non admissibles à l’assurance-emploi.

2.3 Les conséquences sur la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs

Les travailleuses et les travailleurs, tout comme les employeurs, ont des droits et obligations en matière de santé et de sécurité au travail. Ainsi, tous sont interpelés par ce qui se déroule actuellement avec la COVID-19.

2.3.1 Les droits et obligations en général

Les obligations les plus pertinentes pour les travailleuses et les travailleurs sont prévues à l’article 49 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1 (ci-après « LSST ») :

49.Le travailleur doit:

(…)

2° prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique;

3° veiller à ne pas mettre en danger la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des autres personnes qui se trouvent sur les lieux de travail ou à proximité des lieux de travail;

Ainsi, en période de pandémie causée par la COVID-19, une travailleuse ou un travailleur devrait faire le nécessaire pour réduire les risques qu’elle ou qu’il contamine ses collègues de travail, notamment en suivant les directives de son employeur et celles des autorités de santé publique. Elle ou il devrait également éviter de se placer dans des situations à risque, autant que possible.

Pour les employeurs, les obligations les plus pertinentes sont prévues à l’article 51 LSST :

51.L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur. Il doit notamment:

(…)

3° s’assurer que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur;

4° contrôler la tenue des lieux de travail, fournir des installations sanitaires, l’eau potable, un éclairage, une aération et un chauffage convenable et faire en sorte que les repas pris sur les lieux de travail soient consommés dans des conditions hygiéniques;

5° utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur;

(…)

9° informer adéquatement le travailleur sur les risques reliés à son travail et lui assurer la formation, l’entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte que le travailleur ait l’habileté et les connaissances requises pour accomplir de façon sécuritaire le travail qui lui est confié;

Ainsi, les employeurs devraient s’assurer de mettre en place des mesures d’hygiène suffisantes sur les lieux de travail pour s’assurer de la sécurité des personnes s’y trouvant. De plus, les employeurs devraient s’assurer de limiter la possibilité de contagion dans les milieux de travail, notamment en agissant auprès des travailleuses et des travailleurs qui sont visés par les recommandations du gouvernement et en tenant informés ses travailleuses et travailleurs de l’évolution de la situation au sein de l’entreprise. Cela pourrait aller jusqu’à fournir des équipements de protection individuelle si les circonstances l’exigent

2.3.2 Les recours qui s’offrent en matière de santé et de sécurité au travail

Étant donné la propagation rapide de la COVID-19, il n’est pas impossible qu’une travailleuse ou un travailleur craigne pour sa santé et sa sécurité au travail en raison de risques particuliers associés à la propagation de ce virus.

La LSST prévoit notamment la possibilité pour une travailleuse ou un travailleur de refuser d’effectuer un travail lorsqu’elle ou lorsqu’il a un motif raisonnable de croire que son travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique[4]. Toutefois, une importante restriction à l’exercice de ce droit est prévue à l’article 13 LSST :

13.Le travailleur ne peut cependant exercer le droit que lui reconnaît l’article 12 si le refus d’exécuter ce travail met en péril immédiat la vie, la santé, la sécurité ou l’intégrité physique d’une autre personne ou si les conditions d’exécution de ce travail sont normales dans le genre de travail qu’il exerce.

Pour ces raisons, chaque cas devra être analysé selon ses particularités, afin de déterminer si la crainte d’un danger était raisonnable et qu’il n’y a rien qui empêche l’exercice d’un droit de refus. Toutefois, il est possible que ces dispositions soient applicables en raison de la COVID-19.

Il en est de même pour les retraits préventifs de la travailleuse enceinte ou qui allaite, si l’accomplissement du travail entraîne des dangers physiques pour la travailleuse ou l’enfant à naître[5]. Un droit de retrait pourrait également être exercé par une travailleuse ou un travailleur qui présente un état de santé particulier pour lequel la COVID-19 engendre un danger particulier[6].

Quant à la possibilité de se voir indemniser par la CNESST pour la COVID-19 à titre de lésion professionnelle, il nous semble que l’élément déterminant sera la preuve que la maladie a été contractée sur les lieux ou à l’occasion du travail[7]. Cela risque de poser un défi, surtout si la maladie continue de se répandre de manière aussi exponentielle et que ce fait, elle peut facilement être contractée à l’extérieur du milieu de travail.

3. Conclusions

La prudence est de mise dans le contexte actuel. De plus, ce qui est recommandé ou exigé par le gouvernement évolue rapidement. Nous vous invitons à vous tenir informés des mesures actuelles qui sont mises de l’avant par les deux paliers de gouvernement afin de bien conseiller les travailleuses et les travailleurs qui se poseraient des questions quant à leurs droits et obligations. Il est important de s’adapter rapidement puisqu’une mesure adéquate aujourd’hui pourrait ne plus l’être demain.

Le présent document vise à fournir un aperçu général des droits et obligations en cause relativement à diverses questions soulevées en relation avec l’épidémie de COVID-19. Il ne constitue pas une opinion applicable à un cas particulier, pour lequel il importe de prendre en considération tous les faits et circonstances applicables. Nous demeurons disponibles pour répondre à toute question qui pourrait se poser à cet égard.

[1] Article 79.1 LNT.

[2] Article 79.7 LNT.

[3] Article 59.0.1 LNT

[4]Article 12 LSST

[5]Articles 40 et 46 LSST

[6]Article 32 LSST.

[7]Article 30 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001